mardi 14 juin 2016

Traitre et fourbe !

L’Allemand est traître. L’Allemand est traître et la femme est fourbe. Et la femme mariée à l’allemand, alors, je ne vous raconte même pas ! 
On a mis du temps à s’en apercevoir, avec mes sœurs et ma cousine, mais quand on a compris ça, les gars… Et bin, c’était trop tard ! 

Cet été là, nos âges respectifs s’échelonnaient de 14 à 18 ans. Mes parents avaient loué un bungalow dans un centre de vacances, près de l’océan, pour 3 semaines.
Non que nous roulions sur l’or, non … Mais nous étions en juin ! Et près de l’océan, en juin, il fait -8000 degrés, le soleil, là bas, ne servant qu'à éclairer, certainement pas à chauffer ! Donc, forcement, les locations estivales, limite, on vous les offrait avec le baril d’Omo !
Pour les quadras, quinquas, soixantas, trente A jeu, set et match, c’était le fameux "cadeau bonux"  ! Pour les autres et ceux qui n’ont pas connu Guy Lux, eh beh, vous avez raté votre vie ! 

Les seuls furieux à prétendre qu’il faisait beau et chaud en cette deuxième quinzaine de juin polaire, étaient nos voisins directs, un couple d’Allemands avec leurs 3 petits garçons. 

La maman était brune. Charmante. Quelconque. Ca, c’est fait. 
Les enfants étaient des enfants Kinder : super meugnons et blonds comme les blés. 
Quant au père… Le père... DAS VATER ! Das vater ... Attention à bien mettre un V simple et unique, hein. Pas un double, garnements que vous êtes. 
Bref, ze papa ! O Madone ! Ou plutôt O Sainte Bertha, Birgitt ou Ghertrude ! … Le père était une bombe atomique. Eine TUERIE ! Eine gross bombasse !! 
Avec des "jantes qui claquent sa mère" !!... 
Grand, blond, cheveux rebiquant légèrement sur la nuque, corps athlétique, sourire pepsodent, et des yeux d’un bleu harpic WC au fond d’une cuvette de chiottes. Propre, bien sûr ! Ou on revient à l'importance du V unique ! 

Le premier matin où nous l’avons aperçu, ma cousine était sortie dans le jardin, le cheveu hirsute, le visage craquelé par les plis de l’oreiller, le filet de bave à la limite de la lèvre, presqu’en se grattant les "alibofis", qu’elle n’avait pas, bien sûr, mais c’était pour vous mettre l’image en tête.
Baillant à se décrocher la mâchoire, Mafafa jeta négligemment un bref coup d’œil vers le bungalow de gauche. 
Et là … Arrêt sur image. Un apollon en maillot de bain moule-bite, la serviette négligemment jetée sur l’épaule, s’occupant de ses garçons, avant de se diriger vers la piscine. 

Il faut reconnaître une chose à ma cousine : La promptitude de la réaction, qui dans bien des cas, peut sauver des vies ! 

Première phase, la survie : Se mettre à l’abri ! Demi-tour en cata pour rentrer dans la protection ombragée de la maisonnette. 
Deuxième phase : Informer les bases en retrait de la découverte, avec le survol à la vitesse supersonique de l’escalier qui mènent aux baraquements du reste de la troupe. 
Dernière phase : Décrire aux combattantes la cible potentiellement intéressante localisée à 2 pas du bivouac. 

Elle : "ALLLLLOOOO ! Les nouveaux sont arrivés, à côté ! Et y a un Teuton de folaïe, que je vous raconte même pas !" 
Un téton, mais kesskelle dit ?? 
Elle : "Nan, le mec ! A côté ! C’est un avion de chasse ! 
Nous : "... c'est un mec ou un avion, faut savoir ?! Quel âge ? 
Elle : "Maxi 35 ! Il est avec sa femme et ses gosses. 
Nous : "35 quoi ?... ANS ?? Mais il est périmé !"

Bon, par acquis de conscience et vu l'état de nerf de Mafafa, nous décidâmes de nous rendre compte par nous-mêmes, sans pour autant négliger la phase opération camouflage et ravalement de façade. 
Ne pas se laisser surprendre, telle était notre devise, gravée sur nos maillots en latin : "Ne passum se lassare sorprenderae". Quoi, c'est pas ça ?! 

Ma cousine avait dit vrai, cet homme était extrêmement séduisant. Néanmoins (à ne pas confondre avec bouche en plus), il était évident que pour nous, ce n’était que le plaisir du globe oculaire. C’était un homme. Un vrai. Nous, nous n'étions que des gamines et même si parfois, nous nous prenions pour des femmes, nous en étions encore réduites à nous frapper le front, en bramant « GOFIO », quand l’une d’entre nous rotait. Ce qui nous arrivait souvent, je reconnais. 
Enfin ça, encore aujourd’hui, ça me fait rire … 

En tous cas, lorsque cette image de magasine sortait dans son jardin, séparé par un tout petit muret de rien du tout, le nôtre revêtait alors une force d’attraction cent fois supérieure à celle qui provoque les marées d'équinoxe bretonnes. 
Nous lui susurrions alors des « bonjouuuur », que nous estimions ravageurs. 

Et puis un jour, alors qu’il jouait au tennis avec un de ses garçons dans son bout de terrain, la balle passa malencontreusement chez nous. 
Ma plus jeune sœur Coco la lui tendit en retour et d’une voix à l’accent qui nous sembla d’un coup poétique et teeeeeellement romantique, il murmura en souriant : 
« Merzi beaugoup ! » 

L’information se diffusa comme une trainée de poudre ! IL PARLAIT FRANÇAIS ! 
« Allo Papa Tango Charlie, Allo Papa Tango Charlie (descendez, nous vous cherchoooooons) … Zi estranger habla nostra lingua, aïe ripite, zi estranger habla nostra lingua ! ». 
Oh bordel, il allait falloir se montrer extrêmement méfiantes et veiller à ne plus s’exprimer ouvertement devant lui ! 

Se mit alors en place une stratégie de communication faite de raclements de gorge, de clins d’œil, de demi-mots, afin de ne pas être comprises du Germanique niqueuh niqueuh… 
Par contre, nous n’avions absolument aucune crainte quant à la nationalité de sa femme ! Zi estranger’s wife non hablavait nostra lingua du tout ! 
On avait pu le constater à maintes reprises lorsqu’elle était seule, dans le jardin, allongée sur un transat et que nous, à côté, évoquions le Mââââle qui lui servait d’époux, avec des paillettes dans les yeux et des soupirs dans la voix et qu’elle ne bronchait pas d’un cil ! Elle nous servait bien un "bonjour" quotidien, mais ma foi ... Même mon fils sait dire Sayonara en mexicain ! 
Prudentes au début, puis rapidement encouragées par ses silences, nous avions conclu que la pauvre femme ne captait pas un mot de ce que nous ergotions. 

Alors … Alooors, messieurs dames, c’est à cet instant précis que se noua le drame honteux qui allait suivre, car plus rien ne nous arrêta tout au long de cette semaine : 
« Oh Madone, mais qu’est-ce qu’il est canon ! 
« Grave ! Et sa greluche qui ne le surveille même pas ! Elle est pas folle, sérieux ?! 
« Moi, j’ai un mec comme ça, mais je risque pas de rester sur une chaise longue, à lire un livre »… 
Et cætera, et cætera, et j’en passe et des meilleures, vous vous en doutez … ! 
On n’est pas sérieux quand on a 14, 15, 16 ans …   

Arriva le vendredi soir de la fin de la première semaine. 
Gentiment, ma mère sortit dans le jardin et par un langage gestuel, proposa au couple de venir boire l’apéritif à la maison. Ce qu’ils acceptèrent avec plaisir. Même si je me demande encore comment ma mère a pu mimer « cacahuètes ». 

Un branle bas hystérique se mit alors en place ! La salle de bain se révéla vite être un terrain miné et des stratégies d’occupation de l’espace s’organisèrent. 
A 19h, pétantes, nous étions au garde à vous, sur le champ de bataille, plus communément appelée la petite salle à manger, au rez-de-chaussée. 

Je nous revois encore, mais vraiment, je nous revois clairement… J’étais assise sur les genoux de Mafafa, Coco était en face de moi et Djiz, sur le canapé-banc d’angle, grande mode des années 70, accoudée à la table. 

Les Allemands débarquèrent alors et il nous fallut à peu près 3 secondes 35 pour comprendre avec horreur que la femme était Française et que l’époux était un traître, qui ne connaissait que quelques mots polis de notre langue, qu’il avait mis en application bien consciencieusement, puisque ce blaireau était, en plus, nul au tennis ! 

Ma mère, spectatrice de tous nos papotages d’ados, s’exclama, mi gênée, mi amusée : « Vous êtes française ?... Oh, c’est rigolo, ça … » 
Ce à quoi, avec un sourire de bonne joueuse, il faut le lui reconnaître, la FFF (Fourbe-Femme-Française) nous regarda toutes à tour de rôle et répéta : 
« Oui, c’est drôle… ». 

C’est là où nous avons compris à quel point l’humour était propre à chaque personne parce que nous, ça nous a pas fait rire du tout ! Mais alors, NOTATOL ! J’entends encore le « Oooh puuuutain » consterné, murmuré par ma cousine à mon oreille. 
Sans même nous concerter, sans un échange  de regard quelconque, nous nous sommes levées tel un seul homme et nous avons déserté. 
Il faut savoir, parfois, admettre la défaite. Et dans un sens … La France avait quand même remporté la bataille. Fratricide, certes. 

Quant à nous, cela nous servit de leçon ... pour cette année là !
L'année suivante, nous répétions quasiment la même chose en Espagne, avec un serveur surnommé Pépito et sa pétasse de copine, Pépita ... Française ... Pas sourde, même si muette pendant des jours, avant de nous assassiner par sa gentillesse, en nous venant en aide alors que nous étions au bord du désespoir après avoir perdu pour la 3ème fois, la clé de l'appartement de location que nous occupions avec mes parents ... 

Mais ça, c'est une autre histoire ! 
Parfois, la honte me réveille la nuit…



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