dimanche 30 novembre 2014

Cochon d'Harlequin !

Trouver un vrai beau cadeau n’est pas chose aisée. Il faut s’assurer qu’il plaira à la personne à qui on va l’offrir, afin qu’il ne soit pas qu’un plaisir personnel.

Sinon, on tombe à plat à tous les coups. On est d’accord.

C’est pourquoi il y a quelques années, décidée à enfin changer du sempiternel flacon de parfum ou boite de chocolats, je me décidai à me rapprocher de ma mère pour savoir quoi offrir d’un peu plus personnalisé à ma grand-mère ! 

« Mais Axe… elle n’a plus besoin de rien, mamie, tu sais.
- Oui, je sais, mais je voudrais changer un peu. Alors, donne-moi une idée !
- Bon … Je sais qu’elle aime bien lire les bouquins, tu sais, les Harlequins ? Ces trucs à l’eau de rose, là… Bin, voilà, tu lui en prends un ou deux et ça ira, t’en fais pas. »

Me voilà partie, donc, pour trouver ZE livre qui ferait palpiter encore un peu, le vieux cœur de ma grand-mère. 

Arrivée dans le supermarché, au rayon lecture, quelle ne fut ma surprise de trouver un rayon quasiment rempli de « livres à l’eau de rose » !! … Deux solutions … 
Soit nos maisons de retraite sont pleines de petites vieilles en mal d’amour, et là, moi je dis alors, qu’au lieu de les envoyer en voyage organisé au milieu de la pampa dont elles se battent les oreilles, peut-être faudrait-il envisager un stage dans les vestiaires d’un Rugby Club quelconque, qui leur procurerait une diversion visuelle et émotionnelle non négligeable, à n’en pas douter ! Action sponsorisable, pourquoi pas, par un cabinet de cardiologie, avec actions à la clé, tout ça …
Soit la France est tombée très bas dans la diversification de ses lectures ! 

Me voilà donc, bien embêtée devant des centaines de livres dont pas un n’est intitulé clairement Harlequin ! Même pas Hpierrot voire Hcolombine, que dalle ! 
Cherche, cherche … Prends un livre, lis le résumé, repose. Prends un autre, lis le résumé, repose …


Pendant un bref instant, je me trouvai projetée dans le sketch de Dany Boon, entre Steve et « Cindy la freudreuse…Cindy, la ? Freu... dreuse... Cindy, la ??? La FREUDREUSE !!! La freudreuse ??? La ??? Sulfureuse !!! Cindy, la sulfureuse ! »

Après avoir parcouru plusieurs résumés, finalement, plus ou moins identiques, je me décidai à en prendre un au hasard, en le choisissant, c’est bien connu, par le moyen le plus impartial : son apparence ! 

J’en découvris certains, dotés d’une superbe couverture rouge rubis, dont les protagonistes me paraissaient identiques à tous les autres : un homme brun cheveux mi-longs, chemise blanche laissant deviner sa forte musculature, penché sur une blonde aux cheveux longs et ondulés, bouche entrouverte,  caraco blanc laissant deviner sa forte poitrine … des gens normaux dans une vie normale, quoi.

Allez, ça allait bien comme ça, j’en attrapai deux et partis pour la caisse.

Noel enfin, j’offris les livres à ma grand-mère qui me remercia et quelques jours passèrent.

Un matin, le téléphone sonna :
« Allo ?
- Allo, Axelle ? C’est mamie !
- Yo,  mamie, quoi d’neuf (j’ai bien tenté il y a quelques années, le "WAAAASUP", mais ma grand-mère n’est pas terrible en anglais…) ?
- Dis … (imaginez là-dessus un accent pied-noir à couper au couteau) … les livres que tu m’as offerts …
- Oui…
- Dis moi …C’est de la POR-NO-GRA-PHIE !
- De la quoi ?? Mamie, relativisons, c’est Harlequin, quoi …
- HEIIIIN ?? HARLEQUIIIIN ?? - s’exclama mon Roger Hanin féminin - Tu plaisantes ?... Ecoute-moi. Dès le premier chapitre, ça y va. Et quand je te dis « ça y va », crois-moi, ma fille, CA-Y-VA ! Au début, je me suis dit, bon, c’est un peu chaud, mais c’est pour démarrer, peut-être c’est pour accrocher le lecteur. Je me suis dis, c’est pas grave, Yvonne, continue à lire ! Quand j’ai eu finis le premier chapitre, j’étais rouge pivoine ! Je te dis pas comme j’étais soulagée de passer au second chapitre… Mais dès les premières lignes, tu m’crois, tu m’crois pas … Y REMETTENT CA !! Alors, moi, je me dis, comment ? …Ca va être ça tout le long ?... Ils sont pas fatigués ?? (« on n’est pas fatigué ! Vous êtes fatigués ? »... pardon) Après tout ce qu’ils viennent de faire ?? Et vas-y que je copule à droite, vas-y que je copule à gauche …Et crois-moi, ma fille… J’ai eu DEUX maris, d’accord ? Pas un, deux ! Et bin, y en a pas un qui m’a fait toutes les choses décrites dans ce bouquin ! ET ILS SE SERAIENT PAS AMUSES A ME LE DEMANDER, CROIS-MOI !
- … C’est un regret, mamie ?..."
Elle rit :
« Tié » bête … écoute-moi, en tous cas, ces livres, tu vas les reprendre, hein…
- Mais non, mamie, tu…
- Non, non, non ! Je te jure que je ne les lirai jamais. Dis, quand même … A mon âge…
- Justement ! Le monde a changé, tu sais, peut-être que tu vas apprendre des choses !
- Oui, oui, oui, oui, oui … Mais non ! C’est pas à 90 ans que je vais refaire mon éducation sexuelle… Alors, tu vas les reprendre et l’année prochaine, écoute, prends-moi des chocolats, va… J’aime bien les chocolats. »

Quand « Cinquante nuances de gris » fut publié, j’eus un moment de délicieuse hésitation … Allais-je me taper le délire de le lui offrir ?... Après tout, peut-être pouvait-elle croire naïvement au départ,  à un nuancier capillaire de chez Jacques Dessange ?

Je finis chez Jeff de Bruges … 



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mardi 4 novembre 2014

J'vous ai apporté des bonbons ...

A la mémoire de deux de mes grands-parents et surtout de mon grand-père, Nello. 

C’est dimanche.
Et un dimanche par quinzaine, on n’y déroge pas : la visite familiale à la maison de retraite de papinouss et maminouss … 

Ces Nouss là, ce sont mes grands-parents à moi, les arrières-grands-parents de mes gnomes. Ces derniers, vous imaginez bien, trépignent de joie à l’idée d’aller passer deux heures  dans un endroit qui respire la bonne humeur et le dynamisme… 

Mais ils sont gentils, comprennent ce que veut dire le mot « famille » et acceptent, sans trop rechigner. 
Et puis surtout, ils sont encore petits et n’ont pas le choix ! Ca aide pour la motivation des troupes … 

Les grands-parents, eux, sont sincèrement ravis d’avoir de la visite et de  pouvoir un peu cracher tout le venin emmagasiné, contre le personnel… peuh… « médical » ??? 

Nous nous préparons donc à passer un moment aussi agréable que celui qu’a du passer Louis XIV, lors de l’opération de sa fistule anale.

Pas la première, la seconde … Parce que la première, il ne savait pas, le pauvre bougre, à quel point il allait en chier sa race. Il a du laisser approcher les médecins de son royal trou de balle, avec confiance et candeur ! 
« Vous voyez, Docteur, c’est là que j’ai bobo … 
- Oui, oui, oui, oui, oui, je vois bien, je vois bien … Respirez un grand coup, Majesté ! Ca va picoter un peu … » 

Qu’à la seconde … 

Imaginons deux secondes ce qu’a pu se dire le conseil médical qui s’est réuni afin de l’informer de la deuxième intervention à vif. 
« Dites, heu, les gars … Hé, les gars … Cette fois, c’est pas moi qui lui annonce, hein ! Ah bin, non, vous m’avez déjà fait le coup la dernière fois ! Oui, mais la dernière fois, on l’a eu par surprise ! On lui a dit que ce serait à peine plus douloureux qu’un suppo ! Là, le coup du suppo, chuis pas sûr qu’il  le gobe, cette fois ! Quoi, Félix ? Aha, très fin … Ouhais, un suppo, ça se gobe pas par la bouche, aha, aha, aha … Tiens, bin, puisque t’as sucé un clown, ce matin, donne moi un chiffre entre 1 et 12 ! 9 ? Perdu, c’était 3, allez, c’est toi qui t’y colle ! ». 

Ah cette fâcheuse tendance à s’égarer … Je reviens donc, à mes petits vieux à moi ! 

Contrairement à l’ambiance légèrement pesante attendue, la grand-mère nous accueille par un : 
« Tu sais pas ce qu’il a fait, ton grand-père ?? », étouffant un rire gêné … 
Le grand-père cité, assis sur l’unique fauteuil en skaï blanchâtre de la chambre, commence à glousser … Doucement … Puis, y va plus franchement, le regard malicieux. 
La grand-mère le reprend, avec un air coupable et l’accent de Marthe Villalonga : 
« Arrête, quand même … » 
- Quoi ? Qu’est-ce que tu as fait, encore, papi ?? » 

Le papi, qui a encore toute son énergie pour une personne de 87 ans, est la coqueluche de ces dames, en ces murs où la gente masculine non baveuse et ne souffrant pas d’énurésie se fait rare … 

Quand sonne l’heure du repas de midi, un des rares moments qui rythme encore des journées sans fin, c’est la bagarre parmi tous ces braves gens ! A celui qui arrivera le plus vite ! 

Et le plus rapide, c’est Papi ! 

Alors, quand on est une femme d’un certain âge et qu’on est en fauteuil roulant, on se met sur le chemin du papi et on l’agrippe (ou du moins, on tente) quand il passe. 

Ca a un côté fun, pour toutes ces personnes qui ont oublié le parfum de la grande ville … On a presque l’impression d’attendre le bus ! On lève la main et en avant, Simone, c’est moi qui klaxonne ! 

Et le papi, il attrape le premier fauteuil roulant qui a réussi à se placer devant les autres  et c’est parti pour la course dans les couloirs de la maison de retraite ! 

Tel un chauffeur de « push car », il court, galope, fait des petits contre-dérapages, prend les virages serrés, au plus grand plaisir de certaines courageuses occupantes. 

Grisées par le semblant d’air qui ébouriffe leur indéfrisable, certaines, dans un râle rauque, mettant dans ces quelques mots, toute leur dernière énergie, crient aux imprudents : « Poussez-vous ! Mais poussez-vous !!". 

Le malheur, dans ces cas-là, c’est que, comme dans toute course, il ne faut pas d’obstacle sur le parcours. 
C’est ce qu’a eu la malchance d’apprendre à ses dépends, une autre habitante de la maison de retraite, valide, elle (du moins, jusque là), mais pas assez rapide pour échapper au bolide … 
STRIKE ! 
… La malheureuse est à l’hôpital pour une entorse à la cheville … 

Le papi, un peu coupable quand même en rit encore … 
«  … Et encore… Z’aurai pu faire coup double… oui ! Si la vieille dans le fauteuil avait volé, en plus … ! Parce que z’ai freiné un peu, quand même …». 
Et de rire carrément … 
« Ma elles m’énervent aussi, toutes ces vieilles ! s’exclame, en plus, le Bip Bip du troisième âge – ‘sont au milieu, toutes gnagnagnan (en mimant des vieilles gâteuses) ! Maintenant, elles feront attention ! » 

Ah ça ! Grave ! Pendant les mois qui ont suivi, devant l’attitude de décalcomanies épouvantés adoptée par la majorité des habitants de la maison de retraite à la moindre apparition du grand-père, le corps médical a longuement hésité à équiper chaque fauteuil roulant d’avertisseurs sonores !   

Après cet intermède, il est temps de rendre visite à ma seconde grand-mère qui, elle, est dans le pavillon des Alzheimer… 
La Folle Journée d’Axelle Bueller sans Bueller ! 

La Gnomette souhaite m’accompagner. 

Toutefois, avant d’atteindre mémé, nous devons traverser le Groupe des mamies-impotentes-qui-ont-toute-leur-tête … 
Et là, que de tristesse… L’une d’entre elles a 102 ans ! Elle entend parfaitement et parle de telle sorte que je l’imagine très facilement, à 20 ans, en aviatrice rebelle traversant l’atlantique ! 

Aujourd’hui, prisonnière d’un corps qu’elle ne contrôle plus, elle attend que ça se termine … les jours sont longs. 
« Oh oui, c’est long  … » enchaine une seconde, qui ne veut pas rester en rade. Celle-ci semble être un peu moins consciente de ce qu’elle dit. 
Du moins, c’est ce dont j’essaie de me convaincre, lorsque nous nous lançons dans une conversation passionnante concernant les boules qu’elle a à l’anus ! 

Oui … La pudeur semble parfois être inversement proportionnelle à l’âge … 

Ma fille, bien éduquée, écoute religieusement madame nous raconter dans le détail ses boules anales.

A deux doigts de lui gerber dessus ou du lui envoyer l’équipe médicale de Louis XIV pour rafistoler son scrotum, je décide finalement qu’il est temps de couper court aux confidences amicales de la dame et lance un joyeux : 
« Bon, ça c’est fait et c’est pas tout, mais je dois aller voir ma grand-mère ! Bonne journée à toutes, à bientôt ! » 

Et là, ma crevette de 7 ans me prend la main et  me chuchote : 
« Elle a trop d’chance, la dame, maman … 
- Pourquoi ? 
- Elle a des bonbons à l’anis !!!!! » 



Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur la fistule royale, bande de petits vicelards !  : 
Et puis Google est votre ami, n'hésitez pas à taper "Fistule Roi Soleil" ! 


Oh, sa mère ! 


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