mardi 4 novembre 2014

J'vous ai apporté des bonbons ...

A la mémoire de deux de mes grands-parents et surtout de mon grand-père, Nello. 

C’est dimanche.
Et un dimanche par quinzaine, on n’y déroge pas : la visite familiale à la maison de retraite de papinouss et maminouss … 

Ces Nouss là, ce sont mes grands-parents à moi, les arrières-grands-parents de mes gnomes. Ces derniers, vous imaginez bien, trépignent de joie à l’idée d’aller passer deux heures  dans un endroit qui respire la bonne humeur et le dynamisme… 

Mais ils sont gentils, comprennent ce que veut dire le mot « famille » et acceptent, sans trop rechigner. 
Et puis surtout, ils sont encore petits et n’ont pas le choix ! Ca aide pour la motivation des troupes … 

Les grands-parents, eux, sont sincèrement ravis d’avoir de la visite et de  pouvoir un peu cracher tout le venin emmagasiné, contre le personnel… peuh… « médical » ??? 

Nous nous préparons donc à passer un moment aussi agréable que celui qu’a du passer Louis XIV, lors de l’opération de sa fistule anale.

Pas la première, la seconde … Parce que la première, il ne savait pas, le pauvre bougre, à quel point il allait en chier sa race. Il a du laisser approcher les médecins de son royal trou de balle, avec confiance et candeur ! 
« Vous voyez, Docteur, c’est là que j’ai bobo … 
- Oui, oui, oui, oui, oui, je vois bien, je vois bien … Respirez un grand coup, Majesté ! Ca va picoter un peu … » 

Qu’à la seconde … 

Imaginons deux secondes ce qu’a pu se dire le conseil médical qui s’est réuni afin de l’informer de la deuxième intervention à vif. 
« Dites, heu, les gars … Hé, les gars … Cette fois, c’est pas moi qui lui annonce, hein ! Ah bin, non, vous m’avez déjà fait le coup la dernière fois ! Oui, mais la dernière fois, on l’a eu par surprise ! On lui a dit que ce serait à peine plus douloureux qu’un suppo ! Là, le coup du suppo, chuis pas sûr qu’il  le gobe, cette fois ! Quoi, Félix ? Aha, très fin … Ouhais, un suppo, ça se gobe pas par la bouche, aha, aha, aha … Tiens, bin, puisque t’as sucé un clown, ce matin, donne moi un chiffre entre 1 et 12 ! 9 ? Perdu, c’était 3, allez, c’est toi qui t’y colle ! ». 

Ah cette fâcheuse tendance à s’égarer … Je reviens donc, à mes petits vieux à moi ! 

Contrairement à l’ambiance légèrement pesante attendue, la grand-mère nous accueille par un : 
« Tu sais pas ce qu’il a fait, ton grand-père ?? », étouffant un rire gêné … 
Le grand-père cité, assis sur l’unique fauteuil en skaï blanchâtre de la chambre, commence à glousser … Doucement … Puis, y va plus franchement, le regard malicieux. 
La grand-mère le reprend, avec un air coupable et l’accent de Marthe Villalonga : 
« Arrête, quand même … » 
- Quoi ? Qu’est-ce que tu as fait, encore, papi ?? » 

Le papi, qui a encore toute son énergie pour une personne de 87 ans, est la coqueluche de ces dames, en ces murs où la gente masculine non baveuse et ne souffrant pas d’énurésie se fait rare … 

Quand sonne l’heure du repas de midi, un des rares moments qui rythme encore des journées sans fin, c’est la bagarre parmi tous ces braves gens ! A celui qui arrivera le plus vite ! 

Et le plus rapide, c’est Papi ! 

Alors, quand on est une femme d’un certain âge et qu’on est en fauteuil roulant, on se met sur le chemin du papi et on l’agrippe (ou du moins, on tente) quand il passe. 

Ca a un côté fun, pour toutes ces personnes qui ont oublié le parfum de la grande ville … On a presque l’impression d’attendre le bus ! On lève la main et en avant, Simone, c’est moi qui klaxonne ! 

Et le papi, il attrape le premier fauteuil roulant qui a réussi à se placer devant les autres  et c’est parti pour la course dans les couloirs de la maison de retraite ! 

Tel un chauffeur de « push car », il court, galope, fait des petits contre-dérapages, prend les virages serrés, au plus grand plaisir de certaines courageuses occupantes. 

Grisées par le semblant d’air qui ébouriffe leur indéfrisable, certaines, dans un râle rauque, mettant dans ces quelques mots, toute leur dernière énergie, crient aux imprudents : « Poussez-vous ! Mais poussez-vous !!". 

Le malheur, dans ces cas-là, c’est que, comme dans toute course, il ne faut pas d’obstacle sur le parcours. 
C’est ce qu’a eu la malchance d’apprendre à ses dépends, une autre habitante de la maison de retraite, valide, elle (du moins, jusque là), mais pas assez rapide pour échapper au bolide … 
STRIKE ! 
… La malheureuse est à l’hôpital pour une entorse à la cheville … 

Le papi, un peu coupable quand même en rit encore … 
«  … Et encore… Z’aurai pu faire coup double… oui ! Si la vieille dans le fauteuil avait volé, en plus … ! Parce que z’ai freiné un peu, quand même …». 
Et de rire carrément … 
« Ma elles m’énervent aussi, toutes ces vieilles ! s’exclame, en plus, le Bip Bip du troisième âge – ‘sont au milieu, toutes gnagnagnan (en mimant des vieilles gâteuses) ! Maintenant, elles feront attention ! » 

Ah ça ! Grave ! Pendant les mois qui ont suivi, devant l’attitude de décalcomanies épouvantés adoptée par la majorité des habitants de la maison de retraite à la moindre apparition du grand-père, le corps médical a longuement hésité à équiper chaque fauteuil roulant d’avertisseurs sonores !   

Après cet intermède, il est temps de rendre visite à ma seconde grand-mère qui, elle, est dans le pavillon des Alzheimer… 
La Folle Journée d’Axelle Bueller sans Bueller ! 

La Gnomette souhaite m’accompagner. 

Toutefois, avant d’atteindre mémé, nous devons traverser le Groupe des mamies-impotentes-qui-ont-toute-leur-tête … 
Et là, que de tristesse… L’une d’entre elles a 102 ans ! Elle entend parfaitement et parle de telle sorte que je l’imagine très facilement, à 20 ans, en aviatrice rebelle traversant l’atlantique ! 

Aujourd’hui, prisonnière d’un corps qu’elle ne contrôle plus, elle attend que ça se termine … les jours sont longs. 
« Oh oui, c’est long  … » enchaine une seconde, qui ne veut pas rester en rade. Celle-ci semble être un peu moins consciente de ce qu’elle dit. 
Du moins, c’est ce dont j’essaie de me convaincre, lorsque nous nous lançons dans une conversation passionnante concernant les boules qu’elle a à l’anus ! 

Oui … La pudeur semble parfois être inversement proportionnelle à l’âge … 

Ma fille, bien éduquée, écoute religieusement madame nous raconter dans le détail ses boules anales.

A deux doigts de lui gerber dessus ou du lui envoyer l’équipe médicale de Louis XIV pour rafistoler son scrotum, je décide finalement qu’il est temps de couper court aux confidences amicales de la dame et lance un joyeux : 
« Bon, ça c’est fait et c’est pas tout, mais je dois aller voir ma grand-mère ! Bonne journée à toutes, à bientôt ! » 

Et là, ma crevette de 7 ans me prend la main et  me chuchote : 
« Elle a trop d’chance, la dame, maman … 
- Pourquoi ? 
- Elle a des bonbons à l’anis !!!!! » 



Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur la fistule royale, bande de petits vicelards !  : 
Et puis Google est votre ami, n'hésitez pas à taper "Fistule Roi Soleil" ! 


Oh, sa mère ! 


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